L’une des plus grandes difficultés pour les citoyens des démocraties post-coloniales est de discerner quel leader choisir lors des élections. En effet, le rapport établi entre les citoyens ordinaires et ceux qui prennent le devant des luttes sociales ou émancipatrices n’a pas toujours été linéaire et pour cause, les leaders sont constamment évalués à l’aune des résultats perçus nourris par les discours savamment élaborés par des spécialistes et une image/posture créée pour correspondre aux attentes des électeurs.
Le choix d’un leader est de plus en plus complexe, surtout en Afrique. Ceci s’explique par le fait que le champ politique est devenu un enchevêtrement d’idéologies, d’intérêts politiques et économiques, et d’influences religieuses, rendant les options disponibles illisibles pour les citoyens. Il est aussi devenu de moins en moins possible d’anticiper sur la capacité d’un leader à réaliser ses promesses car au-delà des paramètres définis plus hauts, beaucoup d’éléments entrent en jeux quand il s’agit de tenir un poste politique, un programme de gouvernement et de le réaliser comme promis aux populations.
Dans l’analyse, Il faut aussi considérer la hardiesse, les menaces, le stress, la solitude, le doute et les pressions vécus par ceux qui tentent de représenter les autres. Dans un monde subissant l’assaut des philosophies capitalistes promouvant une accumulation agressive et un individualisme assermenté, ceux qui font l’exception sont ceux qui tentent de porter les valeurs collectives de bien commun et de justice sociale. Ces derniers sont généralement le plus confrontés à la difficulté de l’accession au pouvoir politique à cause du fait qu’ils ont généralement moins de moyens financiers et autres ressources capitales que ceux qu’ils combattent. Au même moment, ceux qui viennent dans le champ politique avec des privilèges pour garantir les intérêts des puissants au détriment des pauvres feignent soit de jouer au candidat antisystème, soit de se peindre une image de combattant pour la justice sociale et les droits de l’homme.
Ceci rend encore plus confuse la capacité des citoyens à appréhender avec l’assurance voulue, la personnalité, les capacité, les intentions réelles et les qualités des postulants au pouvoir politique. De ce fait, l’attitude des citoyens à l’égard de ceux qui disent les représenter dans le champ politique s’apparente à deux postures très répandues : L’une qui consiste à considérer d’abord que le rôle de politique est une position de privilégiée, attachée à des principes et objectifs clairs connus par tout individu qui en a la prétention et que par ce fait, toute faillite, toute erreur, tout manquement mériterait de recevoir la sanction quelle qu’elle soit. L’autre posture est celle qui considère que la position de ceux qui prennent le devant des luttes est une vocation, un sacrifice en faveur de la masse et que par conséquent, certaines erreurs seraient excusables.
Ces deux postures ne sont pas censées toujours s’opposer, elles se complètent, s’excluent mutuellement en fonction des contextes et des individus concernés. Ainsi, porter un regard critique sur l’action des porte-voix est un exercice qui devrait prendre en compte la nécessité d’une analyse contextuelle et historique approfondie. C’est ainsi qu’il pourrait être permis d’affirmer que « ne peut juger que celui qui en a la trempe et la science infuse ». En définitive, être citoyen-électeur-éclairé-complet est un état coûteux qui impose un exercice intellectuel de grande volée demandant des capacités d’analyse poussées.
Où se pose le problème ?
Les citoyens de notre temps, surtout en Afrique ont fait face à plusieurs trahisons venant de ceux qui disent les représenter et défendre leurs intérêts. Ces leaders se retrouvent souvent dans le champ politique et sont souvent montrées comme étant désintéressée. C’est d’ailleurs le propre de tout individu qui s’affiche comme leader politique ou défenseur des intérêts des autres qui lui ont confiés leurs voix : il doit être le plus intègre possible, humain et sensible, surtout désintéressé.
Cependant, dans un contexte des démocraties représentatives où le plébiscite populaire est rare, Les discours de campagne peuvent fausser l’image des candidats, ce qui conduit souvent à des erreurs de choix une fois les élus au pouvoir. En revanche, il y a aussi des candidats ignorés dont l’option aurait pu être la meilleur mais qui ne sont jamais choisi non pas parce qu’ils n’ont pas les qualités nécessaires, mais surtout parce que les électeurs ont manqué les critères qui comptaient le plus.
Le problème se pose avec encore plus d’acuité dans un contexte où l’excès dans les restrictions des libertés atteint son paroxysme et rétrécissant par ce même fait, le nombre de ces personnes ayant le courage de défier l’ordre existant. C’est en même temps là où se situe la nature hautement critique du processus à partir duquel on appréhende un candidat à un poste avant de lui confier la destinée d’un peuple déjà fatigué et opprimé. La question fondamentale ici soulevée est de comment rationaliser le plébiscite face à ceux qui émergent comme leaders sociaux ou politique. Il s’agit aussi de pouvoir identifier encore plus aisément les discours porteurs d’erreurs d’analyse ou de désorientations électorales intentionnelles. En en effet, en un soupçon posté sur une plateforme virtuelle, tout l’effort et le sacrifice consenti par un individu pour compétir à un poste de leadership pourrait être piétiné, sans une once de présomption d’innocence ; encore qu’il faille que l’erreur reprochée puisse constituer un facteur handicapant à jouer convenablement le rôle de leader dans un cadre précis.
Dans l’arène politique, il est récurrent d’user d’articles et émissions de grande écoute pour proférer des mensonges/ou vérités avec pour seul objectif de décrédibiliser un concurrent et redorer son image. Cependant, encore une décennie en arrière, cette capacité de nuisance était non-seulement accessible à une élite très restreinte ayant notamment les moyens colossaux à investir dans ces manœuvres, mais aussi utilisait des canaux limités pour atteindre les cibles. Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont à la fois popularisé/démocratisé mais aussi optimisé cette capacité de nuisance et amplifier la vitesse à laquelle une information pourrait être diffusée avec un nombre considérable de cibles ; devenant finalement très déterminant dans les choix opérés par les citoyens.
En réalité, le problème qui se pose est l’importance et le temps requis pour finalement s’assurer à minima de faire le meilleur choix. Souvent, les électeurs préfèrent les personnes affiliées à eux (familles, même école, amitié, village) à d’autres candidat ; et dans ce cas de figure, il s’agit d’un calcul individualiste ou ethnocentré au détriment d’un regard d’ensemble. Quand il ne s’agit pas d’affiliation, les électeurs ont été induits en erreurs quand on leur a fait croire que le programme politique était le meilleur (et le seul d’ailleurs) pour dicter le choix. Du coup les citoyens se limitent à ce qui est dit du programme et avec un peu d’effort, ils s’informent (généralement sur les réseaux sociaux) sur ce qui est dit de la personnalité en lisse, ou ce que cette dernière dit d’elle-même. Dans l’arène de la représentation populaire, il y a aujourd’hui des machines sophistiquées et des officines instaurées soit pour exagérer les côtés positifs, mentir à propos ou minimiser les erreurs en tout ce qui concerne les personnes en lice pour un poste de leadership. Dans un tel contexte, il serait un peu naïf de penser que choisir un leader pourrait raisonnablement aussi simple qu’un exercice de choix par syllogisme.
Je propose alors cinq questions à se poser avant de porter un avis sur un candidat à un poste électif qui se positionne comme étant du côté du peuple.
- L’histoire de l’individu
La première erreur à éviter de commettre est de porter un jugement sur un leader sans connaître son histoire et sans avoir compris le contexte de l’action qui retient l’attention de celui qui est intéressé d’y apporter son avis. En effet, il est important de prendre en compte le parcours personnel, professionnel, militant, ou autre, qui a façonné la personnalité, les convictions, les valeurs, et les compétences du leader en lisse. Ce n’est pas parce qu’un leader est connu pour son engagement dans une cause qu’il n’a pas d’autres facettes, d’autres intérêts, d’autres influences, qui peuvent enrichir ou nuancer son discours et son action. Par exemple, on ne peut pas juger de la même manière un leader qui a vécu l’exil, la prison, la torture, ou la censure, et un leader qui a bénéficié d’un environnement favorable, d’une éducation privilégiée, ou d’un soutien médiatique. Il ne s’agit pas de faire preuve de complaisance ou de dévalorisation, mais de reconnaître la complexité et la diversité des trajectoires humaines, qui peuvent expliquer certaines prises de position, certaines réussites, ou certaines erreurs.
- Les choix politiques précédents et les contextes des positions
La deuxième erreur à éviter de commettre est de porter un jugement sur un leader sans tenir compte de ses choix précédents et des contextes dans lesquels il a pris ses positions. En effet, il est facile de critiquer a posteriori une décision, une stratégie, ou une attitude, sans se mettre à la place de celui qui a dû les assumer dans l’urgence, la pression, ou l’incertitude. Il est également facile de reprocher à un leader de changer d’avis, de se contredire, ou de se renier, sans considérer les évolutions, les apprentissages, ou les adaptations, qui peuvent justifier une révision de son jugement. Par exemple, on ne peut pas juger de la même manière un leader qui a été cohérent, courageux, et lucide, et un leader qui a été opportuniste, ou lâche. Il ne s’agit pas de faire preuve d’indulgence ou de sévérité, mais de reconnaître la difficulté et la responsabilité des choix, qui peuvent révéler certaines qualités, certaines limites, ou certaines faiblesses.
- La constance des valeurs promues
La troisième erreur à éviter de commettre est de porter un jugement sur un leader sans évaluer la constance des valeurs qu’il promeut. En effet, il est important de distinguer entre les principes, les idéaux, ou les convictions, qui fondent la vision, la mission, ou la vocation, d’un leader, et les moyens, les tactiques, ou les compromis, qu’il utilise pour les réaliser. Il est également important de vérifier si le leader est fidèle à ses valeurs, s’il les respecte dans ses actes, s’il les défend face aux adversaires, s’il les partage avec ses alliés, s’il les transmet à ses successeurs. Par exemple, on ne peut pas juger de la même manière un leader qui a été intègre, authentique, et exemplaire, et un leader qui a été hypocrite, manipulateur, ou corrompu. Il ne s’agit pas de faire preuve d’admiration ou de mépris, mais de reconnaître la pertinence et la crédibilité des valeurs, qui peuvent inspirer certaines confiances, certaines adhésions, ou certaines résistances.
- La place de l’humain dans le discours et l’action
La quatrième erreur à éviter de commettre est de porter un jugement sur un leader sans apprécier la place qu’il accorde à l’humain dans son discours et son action. S’il dit être du côté du peuple et des marginalisé, il est impossible que ses actions ne révèlent une grande dose d’humanité. En effet, il est essentiel de savoir si le leader se préoccupe du bien-être, de la dignité, ou de l’émancipation, des personnes qu’il représente, qu’il défend, ou qu’il mobilise. Il est également essentiel de savoir si le leader est à l’écoute, au service, ou en dialogue, avec les personnes qui le soutiennent, qui le contestent, ou qui le suivent. Par exemple, on ne peut pas juger de la même manière un leader qui a été bienveillant, respectueux, et solidaire des pauvres et marginalisé, qu’un leader qui a été arrogant, méprisant, égoïste et accumulant trop de biens plus qu’il en a besoin. Il ne s’agit pas de faire preuve de sympathie ou d’antipathie, mais de reconnaître la dimension et la sensibilité humaines, qui peuvent susciter certaines sympathies, certaines critiques, ou certaines fidélités. Ceci sera déterminant dans le type de leadership qu’un homme politique aura à mettre en place.
- Le rapport avec le pouvoir
La cinquième erreur à éviter de commettre est de porter un jugement sur un leader sans analyser son rapport avec le pouvoir et l’autorité. En effet, il est crucial de comprendre si le leader cherche le pouvoir pour le pouvoir, pour ses intérêts personnels, ou pour ses ambitions politiques, ou s’il cherche le pouvoir pour le partager, pour le mettre au service d’une cause, ou pour le transformer. Il est également crucial de comprendre comment le leader appréhende le pouvoir et l’exerce : l’impose-t-il par la force, la violence, ou la peur, ou le construit-il par le consensus, la participation, ou la démocratie. Par exemple, on ne peut pas juger de la même manière un leader qui a été autoritaire, tyrannique, ou despotique, et un leader qui a été démocratique, libérateur, ou porté par l’envie de servir. Il ne s’agit pas de faire preuve de soumission ou de rébellion, mais de reconnaître la nature et la finalité du pouvoir, qui peuvent provoquer certaines oppressions, certaines contestations, ou certaines transformations.
Conclusion
En conclusion, cet article n’a pas pour vocation d’être un guide infaillible pour le choix des leaders politiques, mais de proposer cinq aspects déterminants pour orienter les électeurs vers le moindre mal en matière de candidats aux positions politiques. Il est essentiel de se poser ces cinq questions avant d’évaluer les porte-voix, afin de ne pas les réduire à des images simplistes, des stéréotypes négatifs ou des idoles intouchables.
Cela répond à la problématique de l’amateurisme et des analyses biaisées du champ et des dynamiques politiques auxquels sont exposés les citoyens n’ayant pas étudié la science politique ou consacré suffisamment de temps à la compréhension d’un domaine politique souvent rempli de mensonges, d’espiègleries et de distorsions des faits. Une analyse politique fine, comme nous le souhaitons, permettra d’interpeller les hommes politiques en fonction de leurs actions, de leurs discours et de leurs impacts sur les causes qu’ils défendent et les personnes qu’ils représentent. Il s’agit de les considérer comme des acteurs sociaux, politiques ou culturels, ayant des parcours, des choix, des valeurs, des relations et des rapports avec le pouvoir, qui méritent d’être appréhendés avec rigueur, nuance et respect. Il s’agit également de les accompagner, de les soutenir ou de s’en désolidariser.
L’oppression que subissent les populations dans plusieurs démocraties africaines est alimentée par la naïveté politique ou l’indifférence de la grande majorité, dont les voix sont soit acquises par la corruption, soit manipulées. C’est pourquoi la capacité à décider des hommes politiques à choisir en bonne connaissances des paramètres les plus important, constitue un pouvoir transformateur que chaque citoyen devrait s’approprier.
Bibliographie
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