J’ai pris l’habitude de prendre mon sac en coton pour mes courses. Parfois pas, surtout pour des objets que je pourrais tenir tout simplement. Et c’est comme ça qu’un matin je me suis présenté à la boutique du quartier situé à la périphérie du centre de Lomé, pour faire des achats. Je me suis dit qu’il n’était pas nécessaire de prendre un contenant car j’avais en tête deux à trois besoins qui m’obligent à aller à la boutique. Cependant, une fois sur place, je me suis rendu compte que j’allais avoir besoin d’autres choses que j’avais oublié de noter. Naturellement, j’en fait la commande et il se fait que la totalité de mes achats ne pouvaient tenir dans ma main. Par respect la dame au comptoir a proposé à plusieurs reprises des sacs plastiques pour emballer mes achats ; offre que j’ai gentiment décliné. Elle insistait pensant que je ne l’avais pas bien comprise. Je lui ai fait comprendre que j’avais bien compris et que je la remercie pour son aimable sollicitude mais que je m’en passerai. Elle continua deux ou trois reprises et à chaque fois, elle cherchait un de ses collaborateurs pour venir assister à la scène et partager sa surprise. A ses yeux, c’était un scandale doublé d’intrigue. Mon refus de prendre un sac plastique et ma décision d’utiliser mes poches pour emporter mes achats fut un vrai choc pour elle, au point où elle n’a pas pu s’empêcher d’afficher son air perplexe et de lancer en vernaculaire : “ce monsieur est vraiment bizarre hein !” tout en me toisant dans un air à la fois amusé et perdu. Elle était convaincue que j’avais un problème psychologique. Ainsi, à chaque fois que j’allais à sa boutique, elle adoptait une bienveillance respectueuse à mon égard tout comme on le ferait à toute personne vivant avec un handicap. Cette expérience m’a démontré la profondeur de la distorsion de la pensée sociale induite par l’usage du plastique.
En général, toute chose utile aux êtres humains est perçue sous divers angles. A part le rôle positif, on se questionne souvent sur le revers qui permet de prévenir l’excès ou l’abus. Ce principe s’applique à l’alimentation, au transport, au cosmétique, etc. et a pour utilité d’induire la précaution face au risque ou au danger que peut constituer une certaine habitude. Cependant, dans une société de plus en plus consumériste et moins émulative, l’utilité pratique ou la satisfaction immédiate donnée par l’usage de certaines choses tend à éliminer toute réflexion en rapport aux conséquences liées aux usages. C’est le cas du plastique. Les communications concernant les dangers du plastique pour la santé, l’environnement, l’assainissement, l’écologie, la faune aquatique etc. n’ont pas suffi pour réduire voire arrêter son usage. Mieux, il est institué comme usage déterminant dans la fonctionnalité d’une dynamique sociale où l’usage du plastique devient non seulement le moyen pratique par excellence mais aussi un code social qualifiant/disqualifiant. Le plastique s’installe alors comme outil incontournable et étouffe de ce fait, toute réflexion sur les possibles substitutions fonctionnelles moins nocives ou totalement bénignes.
En y réfléchissant, j’ai développé une certaine “haine” pour le plastique après être sorti du Togo et observé des alternatives d’opérabilité sans plastique. J’ai compris que toutes les pensées et attitudes sociales ne se valent pas, même face au danger. En effet, dans les sociétés où la conscience collective est plus mature et éclairée[1], il va de soi que tout soit mis en œuvre pour éviter le plastique
La déviance et la norme en sociologie : un cadre explicatif adapté
En tant que sociologue, je n’ai pas été surpris du constat découlant de mon expérience sociale avec la dame de la boutique car, en sociologie, l’attitude déviante est celle qui est impopulaire dans un contexte spécifique où la majorité des membres opterait pour une autre attitude. Le comportement déviant n’est donc pas nécessairement le mauvais comportement du point de vue moral mais simplement le comportement qui ne rejoint pas le choix de la majorité. C’est comme être un prisonnier sans casier judiciaire au milieu des criminels récidivistes. C’est aussi comme aimer la viande de bœuf dans une communauté Hindoue en Inde. Dans les deux cas, l’individu faisant exception est déviant au regard des membres de son milieu de vie même si, aux yeux de plusieurs autres groupes sociaux, avoir un casier judiciaire vierge ou aimer la viande de bœuf n’a rien de déviant. Certaines habitudes largement partagées imposent un “socialement accepté” (norme sociale) qui, de façon erronée, est confondu à ce qui est socialement acceptable. Le plastique constitue un défi de santé publique et un problème environnemental et son usage au point de vue moral devrait constituer un défi sérieux, surtout dans des contextes où la voirie est quasiment absente. Toutefois, mon aversion pour le plastique a été vue par la femme comme une déviance, puisque de toute évidence, dans le contexte Loméen, l’usage du plastique est socialement accepté bien que n’étant pas socialement acceptable au regard des conséquences sévères et durables que cela implique pour la santé, l’environnement, le climat, etc.
Dans les sociétés avancées où les lois et les principes républicains sont établis, partagés et respectés de tous, il n’y a pas de grande fracture entre les normes sociales et les attitudes socialement acceptables, surtout autour de simples questions de vécu quotidien et de bien commun. Dans ces sociétés, l’éducation s’approprie les lois fondamentales et s’efforce de s’assurer que ces lois sont connues et appliquées de tous pour s’incarner en tant que valeurs communautaires devant indiquer ce qui est socialement acceptable. Les structures municipales aussi fonctionnent pour assurer que le vivre ensemble et les règles liées à l’assainissement et à l’environnement sont respectées. En absence de structures régaliennes devant véhiculer les attitudes à adopter et de surcroît dans des sociétés à faible taux de scolarisation, les normes sociales se forment généralement autour du besoin, de l’utilité pratique et des croyances. L’usage effréné du plastique dans la ville de Lomé et sur tout le territoire togolais répond à ce principe. L’utilité “perçue” du plastique est tellement ancrée dans les habitudes au point où non seulement son marché ne fait que grandir, mais aussi et surtout rend inaudible les voix qui tentent de sonner l’alerte sur les dangers encourus par son usage. Son usage est devenu la norme, non l’exception. Pour la majorité des usagers, le plastique devient non seulement socialement accepté mais aussi socialement acceptable.
Une situation plus qu’alarmante
Dans ma précédente interaction avec la gérante de la boutique, j’ai été frappé par sa réaction. J’aurais espéré l’entendre dire : “Vous auriez dû apporter votre propre sac! Je ne donne pas systématiquement des emballages plastiques pour des achats.” Cependant, la réalité est tout autre et cela se voit à tout bout de chemin où jonchent des centaines installations de vente de nourriture. L’eau, la bouillie chaude, les repas locaux, les croquettes et divers objets sont systématiquement emballés dans du plastique. Ce qui est encore plus intrigant, c’est que certains clients en demandent deux à trois, non pas pour une utilisation immédiate, mais pour des raisons qui demeurent obscures.
Cette situation pose un sérieux problème sociétal. Outre les préoccupations d’hygiène et de santé liées à ces pratiques, elles engendrent des conséquences environnementales graves, exacerbées par des comportements à risque. Le danger que représente le plastique pour la faune et la flore aquatique est largement documenté. Il est impératif que nous prenions conscience de ces enjeux et agissions collectivement pour réduire notre dépendance au plastique.
Le Togo fait face depuis plusieurs décennies au problème des inondations pendant la saison des pluies, principalement en raison des caniveaux régulièrement obstrués. En effet, faute d’infrastructures adéquates et d’alternatives plus judicieuses, certains citoyens ont transformé les caniveaux en dépotoirs où ils jettent leurs déchets plastiques. Ces plastiques sont souvent responsables des bouchons qui, plus tard, entravent l’écoulement des eaux de ruissellement, provoquant parfois des inondations. Lorsque ce ne sont pas les inondations, les plastiques présents dans l’environnement empêchent l’infiltration de l’eau, créant des flaques sur la plupart des routes non bitumées. Dans d’autres endroits, la pollution plastique est généralisée, avec des déchets plastiques jonchant les rues et des fumées toxiques provenant de l’incinération des ordures, rendant l’atmosphère invivable.
Pour expliquer ces défis, il est inévitable d’aborder la question de l’adoption du plastique, devenue une réalité, voire un mode de vie courant au Togo. Ce style de vie doit être sérieusement repensé si l’on souhaite un avenir paisible pour les citoyens et les générations futures, d’autant plus que les déchets plastiques peuvent mettre entre 150 et 300 ans à se décomposer.
Vers un avenir sans plastique : Solutions et actions collectives”
Les entreprises de recyclage s’efforcent de traiter les déchets plastiques, mais pour mettre fin à la pollution de manière durable, il faut plus que des efforts individuels. Cela nécessite une volonté politique, une planification efficace des infrastructures et des systèmes sophistiqués de collecte. Même dans les pays bien organisés, des mesures strictes sont parfois nécessaires pour empêcher la dispersion anarchique des plastiques par la population.
Mon expérience à travers différentes régions du monde m’a révélé les dangers du plastique. J’ai constaté les dégâts qu’il cause, mais j’ai également découvert des habitudes simples qui peuvent nous aider à réduire notre dépendance à l’égard de ce matériau. Pour trouver des solutions durables, nous pouvons nous tourner vers nos parents qui ont vécu à une époque pré-plastique. Leurs expériences peuvent nous inspirer à repenser notre mode de vie.
Le drame du citoyen contemporain réside dans la perte progressive des valeurs communautaires et du collectif, remplacées par un individualisme qui affaiblit le contrôle social. Face à l’absence d’institutions publiques solides, il est essentiel que nous agissions collectivement tant dans la prévention que dans la réponse aux conséquences liées à l’usage du plastique.
Alors, que pouvons-nous faire ? Attendre des solutions venues d’en haut, comme la fermeture des usines de plastique ou l’interdiction de sa commercialisation, n’est pas réaliste dans le contexte actuel. En tant que citoyens éclairés, nous devons réfléchir individuellement à des alternatives durables. Voici quelques idées simples pour lancer une dynamique collective.
Avant de nous engager dans des alternatives dynamiques et collectives, il est essentiel de remettre en question nos croyances et pratiques actuelles liées au plastique. Nous devons prendre conscience de la nocivité du plastique pour notre génération et les générations futures. Voici quelques mesures concrètes que nous pouvons adopter:
- Éliminer complètement le plastique : Remplaçons les sacs plastiques par des alternatives durables telles que les sacs en pagne, en laine ou en fibres biodégradables pour nos achats.
- Opter pour des contenants réutilisables : Utilisons des gourdes ou des mugs pour transporter notre eau, sauf si nous avons une solution efficace pour gérer les sachets plastiques.
- Sensibiliser notre entourage : Soyons des exemples à suivre en sensibilisant nos familles, nos collègues et nos groupes d’activités sportives ou artistiques.
- Encourager les commerçants : Incitons les commerçants à encourager leurs clients à apporter leurs propres sacs réutilisables. Si possible, privilégions les emballages biodégradables comme le papier.
- Responsabiliser les vendeurs de sachets d’eau : Incitons-les à sensibiliser les clients sur les gestes écoresponsables après usage
Le plastique est un fléau pour l’environnement, qui provoque de graves dégâts sur les écosystèmes et la santé humaine. Partout dans le monde, des actions sont menées pour limiter la pollution plastique et favoriser une consommation plus écologique. Nous avons tous un rôle à jouer dans ce défi collectif.
Il ne faut pas se tromper de cible : les industriels du plastique ne sont pas les seuls responsables de cette situation. Nous sommes aussi acteurs de ce problème, en achetant, revendant et utilisant des produits plastiques. Si nous changeons nos habitudes de consommation et réduisons notre recours au plastique, les fabricants et les distributeurs auront moins d’intérêt à en produire. La responsabilité est donc partagée.
Responsabiliser les vendeurs de sachets d’eau : Incitons-les à sensibiliser les clients sur les gestes écoresponsables après usage.
[1] Ici nous ne nous référons pas nécessairement à des communes modernes et développées, mais aussi aux communautés rurales qui ont su se baser sur les valeurs qui leur sont propres pour mettre en place des méthodes et pratiques qui excluent le plastique de l’équation.